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blog de Ségou

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23 janvier 2011

Crise ivoirienne et lignes de failles

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L’exacerbation récente de la crise ivoirienne, au lendemain du deuxième tour des présidentielles, s ‘est, non seulement imposée au débat dans l’ensemble de la communauté subsaharienne francophone, mais elle a aussi produit de curieuses lignes de fracture en son sein.  Dans mon entourage, difficile de prévoir les positions de ceux sur qui, connaissant les idées socio-politiques, je croyais pouvoir parier. De façon générale, les sorties de ceux qui jouissent d’une visibilité et qui bénéficient potentiellement d’une audience, ont plus d’une fois déjoué les attentes a priori.

Ainsi de la Française – comme elle l’a elle même précisé dans sa lettre (1) à Béchir Ben Yahmed (BBY)- Calixthe BEYALA, la très conventionnelle BEYALA, très récente candidate au secrétariat de la très aliénante et bien futile Organisation Internationale de la Francophonie, y est-elle allée de son soutien au président Laurent GBAGBO. Ne se privant pas au passage d’une charge appuyée contre la françafrique.  Dans sa réponse donc à BBY, on apprend qu’elle écrit en toute amitié à celui vis-à-vis duquel l’unique divergence antérieure se rapportait au choix de ce dernier d’affubler du suffixe « l’Intelligent » son hebdomadaire de communication : « Jeune Afrique ». Un avis sur un choix de lifting, une décision esthétique. Pas sur le positionnement éditorial d’un organe de publireportage qui entretient avec la françafrique des rapports de bénéfice réciproque.

Au Cameroun, le pays d’origine de la très gaulloise BEYALA, Hubert MONO NDZANA (2), un intellectuel du cru qui en d’autres circonstances s’est prostitué intellectuellement pour l’immoral régime BIYA (insigne doyen des dictateurs de la françafrique), n’a pas pu s’abstenir d’apporter lui aussi son soutien à la « décontraction » de KOUDOU. Au nom de la même résistance au néo-colonialisme.

Si l’évidente contradiction de ces deux personnalités est surprenante, les failles que l’on note au sein des milieux progressistes et intellectuels africains le sont encore plus (3). Au Cameroun toujours, le soutien de partis progressistes s’assumant comme tel à GBAGBO ne s’est pas fait sans dissensions en leur sein. Certaines tensions ayant conduit à des démissions au sein de ces groupes politiques.

 

Marketing médiatique :

« La communauté internationale » est acteur majeur de ce qui se passe actuellement en Côte d’Ivoire et surtout de ce qui risque de s’y dérouler.

A la manière dont l’industrie musicale fait souvent des tubes de piètres productions musicales, cette nébuleuse, qui épouse toujours les contours des intérêts occidentaux a élaboré - dès la proclamation hors délai et irrégulière des résultats du deuxième tour des dernières présidentielles ivoiriennes par la Commission Electorale Indépendante (CEI) – et martelé le refrain par lequel elle entend justifier toutes actions qu’elle jugera nécessaires à l’encontre du Président Laurent GBAGBO. La technique marketing consiste à assommer les auditeurs, à longueur de journées au rythme de bulletins d’information et de parutions des titres presse, d’un même refrain de non-dits. Mots clés:

-                    Le « président légal selon la déclaration d’un Conseil Constitutionnel (CC) » dont le président lui « est proche »/ «  acquis ». Le président sortant qui « s’accroche au pouvoir depuis 2005 date de la fin de son mandat » ;

-                    Le candidat de l’opposition, « président déclaré par la Commission électorale indépendante » ; « le président reconnu par la communauté internationale » ;

-                    L’ONU a « certifié la validité  du scrutin » ;

-                    « L’Union Africaine (UA) et la CEDEAO reconnaissent le vainqueur de la CEI » ;

Ce que laisse entendre ce refrain, c’est qu’un homme, Mr GBAGBO, dans le rôle d’anti démocrate, refuserait de reconnaître la victoire d’un adversaire qui lui, serait épris de démocratie. Et c’est à force de non-dits que cette représentation est construite.

Ce que ne dit pas ce refrain, dont les journalistes occidentaux dans leur écrasante majorité s’accommodent - par paresse, mépris ou en toute conscience du parti-pris - , c’est que dans tous les systèmes qui ont opté pour ce dispositif, le CC est toujours présidé par un proche du chef de l’Etat, puisqu’il est nommé par lui. Ce qui n’est pas dit, c’est que la CEI parée pour la circonstance de toutes les vertus était aux deux tiers favorable à OUATTARA. En taisant que la décision du CC est fondée sur  des recours portés par les partisans de GBAGBO, on fait passer auprès de l’opinion publique internationale celui qui a consacré le plus clair de son existence à l’émergence des libertés en Côte-d’Ivoire pour un antidémocrate, un dictateur, une brute sans raffinement politique. Le président « reconnu par la communauté internationale » - entité aussi peu démocratique que brumeuse - apparaissant par contraste paré des vertus inverses.

La « reconnaissance par la communauté internationale » comme la « certification par l’ONU » qui va de pair passent pour attestation démocratique – niée à une partie, décernée à l’autre. Pourtant quand on sait que cette « communauté internationale » reconnaît aussi Denis SASSOU NGUESSO, revenu au pouvoir  à la fin du siècle dernier par une guerre civile meurtrière à laquelle la France participa activement via Elf…

Quand on sait que cette chère « communauté internationale » reconnaît depuis 25 ans un tueur nommé COMPAORE - qui n’est d’ailleurs pas inactif dans la crise ivoirienne et qui s’est récemment proclamé vainqueur à plus de 80% de la dernière mascarade électorale qu’il a mise en scène

Quand on sait qu’à contrario cette même « communauté internationale » a mis sous embargo les populations de Gaza au motif qu’en se prononçant massivement en faveur du Hezbollah au cours d’élections ne souffrant d’aucune contestation sur la transparence de leur organisation, elles avaient mal choisi et méritaient dont d’être punies

Quand on sait tout çà, la « reconnaissance » par cette brumeuse communauté cesse d’apparaître comme un label de la qualité démocratique mais au contraire marque d’une étiquette douteuse – du moins en certains points du globe – ceux qui en sont bénéficiaires. Dans le cas de la Côte-d’Ivoire, la répétition fréquente de cette reconnaissance agit surtout comme rappel de et mise en garde contre la capacité de violence de ceux qui se cachent derrière le concept. Violence mettant au pas des chefs d’Etats souverains, les enjoignant de déposséder de signature, en toute illégalité, le chef d’un autre Etat tout aussi souverain. Violence retirant leurs créances aux ambassadeurs légaux pour les octroyer à d’autres. Violence qui manœuvre en coulisse pour une déflagration armée qu’elle se dit prête à appuyer.

Ce que ne dit pas le refrain, c’est que le champion de la « communauté internationale », jadis premier ministre d’un régime dictatorial batailla ferme contre l’instauration de la démocratie dans le pays. N’acceptant que du bout des lèvres l’instauration du multipartisme, il crut verrouiller le système en ne concédant que des élections multipartites à un seul tour. Dispositif qui aboutit à l’élection surprise (en apparence) en 2000 de Monsieur GBAGBO à la présidence de la République avec un score d’environ 20% sur lequel il se fonda pour contester un vainqueur qualifié à l’époque de « mal élu ».

Ce que ne dit pas le refrain, c’est qu’une commission électorale n’est qu’un organe administratif ad hoc qui a charge d’organiser et d’assurer le bon déroulement d’une élection et d’en compiler les résultats qu’il appartient, une fois accompli ce travail d’exécution et pour autant qu’il se déroule dans le temps imparti, au CC d’en entériner les résultats après prise en compte les éventuels recours. Dans des pays où le fonctionnement normal des dispositifs régaliens le permet, ce rôle administratif relève du ministère de l’intérieur ou de l’administration du territoire. La nécessité des CEI en Afrique signifie en fait l’échec du fonctionnement normal de l’Etat – notamment des dictatures comme celle d’Houphouët BOIGNY dont OUTTARA fut premier ministre.

Ce que ne dit pas le refrain, c’est que le pays dont il est question vit de fait une réalité de partition depuis 2002 avec l’intrusion d’une rébellion armée. Que la prétendue « communauté internationale » eût tôt fait, par les manœuvres de son éditorialiste (qui rédige des résolutions onusiennes que son armée a charge de « faire respecter sur le terrain ») et porte-parole dès lors qu’il s’agit de la françafrique – la France –, de légitimer ces criminels attaquant un régime démocratiquement élu en les conviant à la signature, au même titre que les autorités légales, des accords dits de Marcoussis. Accords qui constituèrent la première tentative de la « communauté internationale » à substituer à la constitution d’un pays des textes sans légitimité qui tenaient d’abord compte des intérêts du pays hôte. Le premier point de ces intérêts étant de remettre au plus vite en selle son jockey : Allassane OUATTARA. Que de cette partition de fait découle le délai de cinq ans entre la fin officielle du premier mandat de GBAGBO et la tenue de nouvelles élections présidentielles. Que malgré ce délai il eût été préférable d’attendre d’abord que les criminels tenant le nord du pays fussent désarmés. Tâche dévolue à la « communauté internationale » et à laquelle elle a failli lamentablement. Que par voie de conséquence, l’opposition des criminels des forces rebelles à tout contrôle des élections dans la partie nord du pays par des observateurs est à l’origine des doutes – pour dire le moins – sur le déroulement de ces élections dans les deux tiers septentrionaux du pays.

Ce que ne dit pas le refrain, c’est que l’aptitude de l’ONU à l’impartialité fait rigoler dans les cercles qui s’intéressent à son action et à son personnel ad hoc qu’on affuble du surnom de touristes électoraux, parce que leur action se déploie en général dans les parages d’hôtels de luxe où ils installent habituellement leurs quartiers généraux. Que dans le cas ivoirien en l’occurrence ils se sont bien abstenus de résister aux menaces des criminels du nord. Que des voix encore tenues s’élèvent relatant tel groupe d’observateurs de l’Union Européenne pris en otage dans la même partie du pays. Que les seuls observateurs qui aient eu le courage de se risquer dans l’enfer du nord de la Côte-d’Ivoire sont des observateurs africains de l’Union Africaine (qui dans un bel exercice de dépendance à la « communauté internationale » ne tient pas compte du travail de ceux-ci) rapportent des pratiques accablantes contre les partisans de OUATTARA qui contrôlent la rébellion. Tiens ! Ni la « communauté internationale » ni la presse occidentale n’informent le vaste public auquel ils ont accès de ce que notre cher financier ne fut pas seulement haut cadre du FMI mais qu’il est aussi le banquier de ces forces rebelles.

Ce que ne dit pas le refrain, c’est que ceux qui au nom de l’Afrique toute entière offrent le confortable couvert diplomatique sous lequel les nations riches et militairement puissantes interviennent en Côte-d’Ivoire, ceux de l’UA et de CEDEAO, se nomment bébé BONGO, bébé EYADEMA, Blaise COMPAORE et autres Denis SASSOU NGESSOU. Des personnages pas recommandables pour la majorité des africains. Le refrain ne dit pas non plus que ces organisations ne fonctionnement pas de façon démocratique pour ces questions ; se réunissant parfois en catimini pour adopter des mesures ne faisant pas l’unanimité. On entend par exemple pas assez que le Ghana et la Gambie, ont émis plus que des réserves sur certaines décisions de la « communauté internationale » entérinées par ces organisations. Tout comme le grand public ignore ce que pensent les dirigeants sud-américains ou asiatiques des positions qui leur sont implicitement attribuées sous le vocable de « communauté internationale ».

 

Post colonie. Acte II : l’insoumis :

L’issue de la crise ivoirienne est incertaine. Elle est sans doute porteuse de biens de tragédies. GBAGBO est-il panafricaniste ou bien mérite-t-il d’être considéré comme tel ? Le panafricanisme ou bien la lutte affirmée contre la françafrique suffisent-ils à soutenir un prétendant à la présidence ivoirienne ? Peu importe les réponses qu’on peut apporter à ces interrogations. Un fait est certain : cinquante ans après l’élimination ou le cantonnement (hors des processus décisionnels) des héros nationalistes des indépendances africaines, GBAGBO aura réussi l’exploit d’imposer le rôle de l’INSOUMIS au théâtre des rapports de la France vis-à-vis de l’Afrique. Jadis sous la seule responsabilité d’écriture de la France qui parlait en son nom propre et choisissait les acteurs de la partie africaine, la pièce s’est vue imposer depuis dix ans un personnage qui s’est arrogé le droit d’écrire ses propres textes et s’est entêté à essayer de définir son mouvement sur la scène. Trop longtemps la mise en scène n’a donné voix qu’au Seigneur et à ses vassaux. Au roi et aux roitelets. A l’Empereur et à ses satrapes. Toute possibilité de parole autonome étant confinée dans la figuration ou tue. En occupant le fauteuil qui était réservé à un laquais, en s’y maintenant dix années durant (dont deux seulement de gouvernement plus ou moins serein), il a obligé le rôle et écrit au jour le jour, à la crise, à chaque nouvelle accusation, chaque évocation de charnier, chaque nouvelle tentative d’éviction, la réplique séditieuse dont la « communauté internationale » a si souvent remis l’avènement en Afrique aux calendes grecques.

Pour ce faire, il lui a fallu résoudre l’une des failles tactiques qui explique bien des défaites avant lui : l’isolement. C’est en effet en coupant les nationalistes africains de leurs soutiens potentiels que, au Cameroun comme en RDC par exemple, les colons ont fragilisé UM NYOBE et LUMUMBA. GBAGBO au contraire, a su, à l’intérieur de la Côte-d’Ivoire au moins, convaincre un nombre seuil de personnes déterminées à défendre sa position. Le moment emblématique de cette solidarité est l’affrontement en 2004 de l’armée française contre des partisans (aux mains nues) du président, qui se solda par la mort d’au moins cinquante ivoiriens. Il a bien sûr tiré des leçons de ces précédents échecs mais a aussi su profiter des possibilités de communication que permettent les technologies informatiques modernes. On se souvient qu’alors que le France officielle et celle de ses médias « nationalistes » (l’ensemble des médias mainstream du pays) avaient dans un premier temps nié ce forfait, le gouvernement ivoirien avait patiemment, via internet, su faire émerger une autre vérité, LA VERITE, sur cet ignoble massacre. Consciente que GBABGBO n’est pas seul à l’intérieur, la France se voit aujourd’hui contrainte  d’essayer d’organiser son isolement à l’échelle du continent.

Cette tentative patente de manipuler les organisations panafricaines exige de ceux qui en Afrique sont jaloux d’un devoir de révolte à organiser une résistance panafricaine pour contrer ces efforts de marginalisation.

 

(1)     http://www.jeuneafrique.com/Article/ARTJAJA2607p018-019.xml2/

(2) http://www.cameroon-info.net/stories/0,27839,@,hubert-mono-ndjana-la-tragedie-ivoirienne-et-la-tyranie-de-la-communaute-interna.html

(3) http://www.madagascar-tribune.com/La-crise-ivoirienne-divise-les,15354.html

 

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14 novembre 2010

Un Reptile par Habitant

416FhMxjvFLLe titre acheté n’était pas celui que j’avais projetté d’acquerir. “Lisahohé” est le premier texte de Ananissoh qu’il m’ait été donné de lire; un récit de voyage. Une sorte de “Cahier d’un retour au pays natal”, plus prosaïque, moins surréaliste. Un premier contac dont j’avais gardé un bon souvenir. Le ton calme et apaisé de l’auteur quand il analyse des dérives graves de la tyranie. La nostalgie qui accompagne toujours ces retours.

En lisant la quatrième de couverture de “Ténèbres à midi” de Théo Ananissoh, j’avais cru être à nouveau en présence d’un texte du même registre. Par le hasard du calendrier, l’auteur était l’invité quelques semaines plus tard de la foire du livre de Bruxelles. L’occasion de m’approprier un exemplaire de ces couvertures uniformes, de jaune et d’ocre, de la collection Continents Noirs de Gallimar, signé T. Ananissoh. Une dédicace plus tard, la désillusion: je venais d’acquerir “Un Reptile par Habitant”,un texte du même auteur dont j’ignorais l’existence; une fiction sans le côté carnet de voyage. Parce que j’ai tendance à retrouver mes préférés dans les registres où, par souci d’ordre je les range parfois, ma déception avait empilé l’oeuvre parmi les livres que je destine à une bibliothèque que j’aimerais un jour ouvrir au Cameroun. Jusqu’à ce qu’un jour, machinalement, ma main l’en estrait.

theo_ananissohNarcisse est professeur de lycée dans une petite ville de l’arrière pays. Personnage sans relief ni révolte, il apparaît même ingénu par certains aspects. Célibataire, il connaît cependant un certain succès auprès de la gente féminine sans que jamais le souci du tri n’entrave ses pulsions. Il prend celle qui s’offre, papillonnant ainsi de la mère divorcée se suffisant finançièrement à une élève de son lycée en passant par la dévergondée de luxe dans la couche de laquelle tout ce que la région compte de personalités influentes s’invite parfois.  Le soir où cette dernière justement le tire d’un orgasme imminent, de sa voix dont la détresse disait l’urgence, il va se trouver mêler au rocambolesque meurtre  du colonel Katouka, personnalité influente de la dictature togolaise. Ce crime très vite se transforme en affaire d’Etat dans une version officielle qui ne fait du défunt colonnel qu’un fugitif dans un pays voisin. Finira-t-on par savoir que cette disparition du colonel n’est pas qu’un banal exil politique? Et remontera-t-on alors jusqu’à Narcisse qui n’a aidé qu’à faire disparaître la dépouille? Qui a tué Katouka? Pour quel motif?

Ananissoh signe un polar agréable à lire. Un bémol cependant: la voix narratrice est difficile à suivre. Elle semble être celle d'un élève du professeur. Mais alors les lacunes de langue qu’on relève rendent-elles compte du niveau intellectuel de ce narrateur où doivent-elles être considérées comme des fautes de langue ou erreurs de style du romancier?

Quoiqu'il en soit la fin du roman semble ouvrir la porte à une suite qui ne serait pas pour me déplaire.

"Un Reptile par Habitant", Théo ANANISSOH, édition Gallimard, Collection Continents Noirs 

 

19 septembre 2010

KASALE

9782911412448FSGran va mourir. Antoinette alias Gran, la doyenne du lakou Kasalé va mourir. Cette convictiton que partage chaque personnage du roman dès les premières pages, le lecteur finit par l'adopter. C'est la chute du cachiman géant une nuit de gros temps - un arbre planté à la naissance de la doyenne - qui est porteuse de cet augure funeste. Présage que va renforcer l'effondrement, suite aux mêmes intempéries, du kay-mistè, le temple dédié aux dieux vaudou.  L'aïeule qui toute son existence durant a été le véhicule des esprits sait  mieux que quiconque la signification d'une telle conjonction malheureuse. Elle sait ses jours comptés et pourtant elle va s'assigner deux missions à réaliser avant sa mort: reconstruire le kay-mistè d'une part, trouver un successeur à son rôle d'oracle entre humains et esprit. 

 

 

 

 

 

imagesKasalé est la narration des derniers jours de cet ancêtre. Une sorte de contre-la-montre avant de rejoindre le pays sans chapeau. Comment trouver un serviteur fidèle des loa dans le contexte particulier d’un pays où le christianisme, aidé par le pouvoir politique, a contraint à des retranchements ténus le vaudou, la spiritualité traditionnelle. Où au sein de la propre famille de Gran, le parent le plus proche, la nièce Nativita, est la zélote de la nouvelle foi la plus ouvertement opposée au vaudou.

Comment reconstruire le temple dédié aux esprits sans argent ?

Telles sont les difficultés que doit surmonter la doyenne dont les forces s’évanouissent de jour en jour, presque à vue d’œil.

Mon premier contact direct avec l’écriture de Kettly Mars s’est fait par son intervention dans « L’Afrique répond à Sarkozy », réponse collective d’un certain nombre d’intellectuels au discours imbécile de Sarkozy à Dakar. J’avais trouvé extrêmement juste son propos. Malheureusement, pour ce premier abord de son œuvre romanesque, j’ai été moins emporté. Mais pas au point cependant de ne pas envisager une  rencontre future.

"Kasalé", éd Vents d'Ailleurs

 

 

 

12 juin 2010

Tant que je Serai Noire

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Les belles rencontres sont tellement faciles à raviver. Longtemps, « Je sais pourquoi chante l’oiseau en cage », le premier volet autobiographique de Maya Angelou, est resté mon œuvre préférée. Longtemps j’ai désespérément essayé, jusqu’à l’oubli, d’en lire la suite. Je ne pouvais aborder l’œuvre dans la langue de Shakespeare. Mais je ne trouvais pas les traductions en Français des suites. Et puis  la retrouvaille imprévue récemment : « Tant que je serai noire », la suite. Maya Angelou, victime d’inceste, enfant-mère  puis mère seule dans le premier volet a grandi. Elle parcourt sa trentaine. Elle élève toujours toute seule son fils Guy qui aborde l’adolescence. Sans formation professionnelle précise, elle est une chanteuse moyenne qui aspire à être écrivain. Elle espère toujours le prince charmant. Elle se découvrira de redoutables capacités d’organisatrice qui lui vaudront d’être cooptée parle bureau new-yorkais de la SCLC (Southern Christian Leadership Conference) de Martin Luther King. Devenue de fait militante pour les droits civiques en ces années 50-60, elle rencontrera l’amour en la personne de Vuzumbi Make, cadre du Congrès Panafricain, un parti politique sud-africain radical (dont les membres les plus actifs sont obligés de vivre en exil) fort actif en ces années de la brutalité de l’apartheid.

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Le parcours, les rencontres de Maya Angelou nous mènent ainsi des Etats-Unis à l’Afrique, en passant brièvement par l’Europe, au cœur du bouillonnement militant de ces décennies 50 et 60. De la lutte pour les droits civiques dans son pays à la lutte contre l’apartheid – et les luttes pour les indépendances – Angelou est un trait d’union entre la terre d’origine et le sol américain.

Durant les années de quête infructueuses des volumes suivants de l’autobiographie de Angelou, je n’ai pas manqué une occasion de prêter attention à son propos chaque fois qu’il me parvenait. Et rien de ses allures de grand-mère sage et surement tendre ne m’avait laissé deviner la jeune adulte timide et peu sure d’elle même qu’elle fut.

Une vie pleine d’enseignement !

"Tant que je serai noire" Ed. Le livre de Poche

 

 

 

23 février 2010

Malheur, information et proximité :

imagesA quoi tient la proximité qui s’établit entre un inconnu éprouvé et soi ? A peu de chose parfois. Comme un trajet commun même utilisé à des années de différence. Quand l’effondrement fatal d’un  immeuble, suite à une explosion de gaz, a récemment endeuillé une province belge éloignée de la capitale du pays où je vis, j’ai été très peu concerné par ce drame. Le traitement de l'information étant resté purement intellectuel. Une pensée pour les sinistrés. Une idée – convenue – sans implication thymique. Pourtant la tragique collision, entre deux trains transportant des voyageurs, survenue ce 15 février, non loin de Bruxelles, a suscité en moi réel émoi. J’ai une réelle empathie pour les victimes de cet accident. Pourquoi me sens-je plus proche de ces dernières victimes que des premières qui m’étaient pourtant tout autant inconnues ? Pourquoi ce traitement différencié – par la pensée dans le premier cas, par le cœur dans l’autre - de deux accidents qui me sont tout autant étrangers ? Sans doute qu’inconsciemment, le fait d’avoir régulièrement emprunté le trajet de ces trains, il y a quelques années, y contribue. Peut-être un fond de pensée magique. Le sentiment me semblant fort réaliste qu’à quelques années de distance, j’eusse pu me trouver dans l’un de ces trains. Par contre, n’ayant jamais vécu à Liège, la ville de l’explosion de gaz, n’y étant passé que de rares fois – et encore des jours de pluie - ce lieu pourtant si proche est lointain.

Qu’est-ce donc que la proximité en matière d'information ? 11H30 en ce 15 février. Mon GSM sonne. Un numéro du pays qui n’est pas dans mon répertoire. Je n’aime pas ces appels là. Moment d'hésitation. Répondre quand même, malgré le "rush". Au bout du fil, la voix toujours posée et apaisante de mon jeune frère. Il téléphone pour s’enquérir des nouvelles de ma petite famille « après ce qui vient de se passer en Belgique ». Mais que s’est-il donc passé en Belgique de si préoccupant que j'ignore ? Un train a déraillé près de Bruxelles. Il y a plusieurs morts. On s’inquiétait pour vous. Tout va bien. Merci. Pour l’inquiétude. Et pour l’information émise de 6000 km au sujet d'un événement en cours à pas même 20 km du lieu où je me trouve. Quelle est donc l'unité de mesure de la distance quand on parle d’« information de proximité » ?

 

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20 février 2010

L'ENIGME DU RETOUR

im_laf__nigmJe ne me souviens pas du dernier Laferrière que j’ai lu avant celui-ci. Je me souviens en revanche la première fois que j’ai rencontré le personnage dans les années 1990. C’était au forum principal de la « Foire du Livre de Bruxelles ». Les assistants, nombreux à écouter un écrivain, je ne sais plus lequel, qui avait pignon sur rue vidaient les lieux à l’annonce de celui qui allait occuper le podium : Dany Laferrière. Ce dernier, arrivant sur le moment, se mit en tête de retenir les fuyards, de son envergure bras tendus, leur criant que Laferrière c’était lui. A la fin de son intervention ce jour là, le forum était plein et l'assistance visiblement n'avait pas vu passer le temps. J’étais jeune, vivant loin de mes parents, dans un environnement qui n'avait  de cesse de me renvoyer une image dévalorisante de moi-même. J’étais jeune et peu sûr de moi. J’étais jeune et en quête de modèles qui me ressemblent pour construire mon estime de moi. Cette scène dont Laferrière fut l’acteur principal y a contribué en même temps qu’elle constitua mon ancrage dans la littérature haïtienne. Je lus par la suite, non je dévorai, boulimique,  bien de ses productions :  « Pays sans Chapeau », « Le Charme des Après-midi sans Fin », « Le Goût des Jeunes Filles », etc… jusqu’à être un jour déçu par le personnage. Non pas par son œuvre mais par cette propension qu’on retrouve chez certains auteurs blacks à vouloir s’inscrire exclusivement dans ce vaste piège occidental qu’est la notion « d’humanisme ». A prétendre n’écrire de nulle part que de ce lieu  qui finit parfois par avoir le concret d’un lieu géographique. Et puis il y a eu un numéro récent de « La Grande Librairie » où il était invité. C’était avant le prix Médicis. Et l’envie m’a de nouveau pris de lire cet auteur prolifique.

im_laf_Il y a quelques années déjà Laferrière disait en avoir fini avec son « autobiographie à l‘Américaine », cette autobiographie romancée qui constitue l’essentiel de son œuvre. Il ne faut pas croire un écrivain. Puisqu’il fut repris par son démon. Après avoir confronté, de son exil, le pays rêvé au pays réel en puisant dans ses souvenirs, l’auteur va tenter, dans cet « Enigme du Retour » , à partir de ses souvenirs, de retrouver sa place dans le pays qu’il a quitté une trentaine d’années auparavant. 

A l’occasion du décès d’un père qu’il n'a pratiquement pas connu – pourtant mort et enterré en exil – l’auteur décide de faire le voyage retour vers le pays réel. L’alibi est le soutien à sa veuve de mère. Pourtant sur fond du « Cahier d’un Retour au Pays Natal » de Césaire, il va partir à la rencontre du visage reconstitué, par le récit de ceux qui le fréquentèrent, de ce père qu'il a si peu connu. Par le récit de témoins mais aussi par la contextualisation, dans le décor réel, du militantisme politique qui valut l'exil à ce géniteur. Chemin faisant il dresse, à la manière d’un peintre naïf, le portait réaliste de ce pays. Misère, pauvreté mais aussi flamboyance et exubérance en sont les lignes de force. A la fois marionnettiste et corde invisible au profane,  qui imprime le mouvement global, définit les rapports humains, il y a le vodou. J’ai beaucoup aimé la façon dont Laferrière le figure dans le tableau général. Il en fait ce qu’il est vraiment. Pas un culte. Il n’y pas la vie entrecoupée de moments « religieux ». Non. L’une est mêlée à l’autre. L’autre s’exprime forcément quand l’une se manifeste. Je connais bien cette réalité que l’on résume dans mon pays par cette expression – les chiffres sont fictifs : « Au Cameroun, il y a 75% de chrétiens, 20% de musulmans et 100% d’animistes ».

J’ai renoué avec Laférrière et retrouvé ce style particulier faussement nonchalant mêlant vers sans rime ni rythme à une prose faite de phrase apparemment détachée. L’ensemble est toujours pourtant d’une belle cohérence. Petite déception cependant, je trouve que ce style va mieux avec le format poche de chez « Motifs »/  « Serpent à plumes » qui est la seule présentation sous laquelle j’avais tenu les œuvres de Dany jusque là. Grosse surprise : je me demande ce qui détermine les jurys de prix littéraires. Car si c’est le style qui est récompensé, alors cet auteur aurait dû recevoir ce prix au moins une demi-douzaine de fois par le passé.

 

L'ENIGME DU RETOUR, Ed Grasset. Prix Médicis 2009

13 février 2010

Haïti...Aië_iti

 

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Un mois déjà que cette moitié d’île qu’est Haïti a été une fois encore, une fois de trop, le théâtre d’une horrible tragédie humaine.  Un mois déjà que je vis une curieuse expérience de mutisme à la suite du violent séisme qui a frappé ce pays que la folie des hommes n’a pourtant pas épargné au long de ses deux cents ans d’indépendance. 7,3 de magnitude sur l’échelle de Richter. Jusqu’à ce 13 janvier 2010, ce chiffre n’avait aucune résonnance en moi. Désormais j’ai une certaine conscience des drames qu’il signifie.

13 janvier 2010. Comme tous les matins je suis pris de cette agitation que connaissent ceux qui ne sont pas organisés. Mille choses à faire avant de me rendre au boulot. Les tâches  répétitives obligées. Se laver. Préparer le petit à aller chez sa gardienne. Réfléchir à ce qu’on mettra. Quelle quantité d’effet exige l’activité professionnelle du jour? Se vêtir. Si possible boire une tasse de thé pour bien commencer la journée. C’est la date limite pour effectuer ce virement qui aurait dû être fait il y a plusieurs semaines déjà. Répondre à ce mail qui était urgent il y a quinze jours . La radio en fond sonore. Ma conscience fixe au hasard quelques nouvelles du jour. Séisme en Haïti la veille. 7,3 sur l’échelle de cher Richter. Pas d’images pour se faire une idée de l’ampleur des dégâts mais le pire est à prévoir. Vite un mail à cette connaissance haïtienne qui vit entre le « pays en dedans » et le « pays en dehors ». Lui dire que j’espère que les dégâts ne seront pas trop importants et qu’en tous les cas ses proches auront été épargnés. Et cette question naïve pour conclure mon texte: « que peut-on faire ? »

Le mutisme n’a commencé que bien plus tard. Avec la vision des premières images. La prise de conscience de ce qu’est 7,3 d’une échelle sismologique traduit en douleur humaine. En désespoir. En gravats. En enfants orphelins. En errances humaines. Comment dire cet horrible désordre ? Comment dire mon ressenti de ce drame ? « Que peut-on faire ? » Quelle vaine prétention d’avoir cru le moindre de mes gestes, ma plus intime sympathie capable de peser d’un quelconque poids dans le sort de toutes ces victimes qui avaient tout perdu ? L’absence de mots a commencé bien plus tard. Quand j’ai voulu dire ma douleur, moi qui n’ai perdu personne dans cette catastrophe. Je veux dire aucun proche au sens de famille. Au début j’ai été inquiet pour quelques uns des artistes que j’apprécie et qui vivent sur place. Très vite, via internet ou les médias classiques, j’ai été rassuré quant au sort de L. Trouillot, Franketienne dont l’atelier s’est effondré mais qui est lui même bien vivant, G. Victor ou encore K. Mars. Pas plus tard qu’à l’instant, j’ai lu la première réaction de Roody , bloggeur haïtien sur les pages de qui j'erre souvent. Certes mon ami, celui à qui j’ai adressé ma première réaction ne m’a toujours pas répondu. Je reste optimiste en pensant qu’il est fort préoccupé par le sort des siens.

Et pourtant le mutisme persiste. Celui qui ne m’empêche pas de parler de bien de balivernes de mon quotidien comme la décevante CAN 2010, mais me rend incapable d’exprimer mon ressenti un mois après ce séisme.

Aussi ai-je résolu de me contenter, formule convenue, d'adresser au peuple haïtien « toute ma sympathie » en ces heures douloureuses!



 

22 novembre 2009

Haïti Littéraire

En recevant l’invitation à assister à cette rencontre littéraire j’ai peu fait attention au titre : « Haïti Littéraire ». Dans mon esprit, il s’agissait juste d’un intitulé, comme il en faut un pour une telle activité. L’information pour moi résidant en ce que la rencontre se ferait autour de la littérature haïtienne. Ce qui en soit suffit à me rendre disponible. Et pourtant, ces deux mots  m’ont ouvert un monde inconnu.

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Anthony Phelps (à gauche) et Jean-François (photo I. Mbore)

Entre 1961 et 1964, cinq poètes haïtiens (ils étaient six au départ) se rencontrent (ils préfèrent se reconnaissent) et se fréquentent sur la base de leur commune pratique de la poésie :  Denis Villard dit Davertide, Serge Legagneur, Roland Morisseau, René Philoctète et Anthony Phelps. Auguste Thénor, le sixième, opta très tôt pour le militantisme syndical et mourut en 1974 dans les geôles duvaliéristes. Ni la race - alors que la négritude est en vogue dans le monde Noir francophone – ni la créolité ne sont les dénominateurs par lesquels ils définissent leur identité. C’est une exigence de qualité qui est au cœur de leur démarche. Ils se réunissent régulièrement pour partager leurs textes et les soumettre à la critique sévère de tous. Ils ne se veulent pas école de poésie mais optent pour le liberté de leur diction poétique : « symbolisme, surréalisme, poésie épique, nous n’avions aucune entrave, le seul critère était l’excellence du texte » (Anthony Phelps). Ils assument aussi un engagement politique dans leurs œuvres dès lors que la qualité n’en pâtit pas. Cet engagement politique leur vaudra la dispersion à travers le monde par l’exil auquel les contraindra la violence duvaliériste. dénommés d'abord Samba, ils opterons ultérieurement pour l'appellation Haïti Littéraire.

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Vue de l'assistance durant la rencontre (photo I. Mbore)

Cette rencontre du 21 novembre 2009 à Bruxelles, à l’initiative de l’ambassade de Haïti à Paris et l’intermédiaire du CEC (Coopération par l’Education et le Culture, une ONG belge était organisée autour d’Anthony Phelps, l’un des deux derniers survivants du noyau dur de Haïti Littéraire. L’autre étant Legagneur. Parce qu’à 81 ans, Phelps a la mémoire un peu gruyère, les organisateurs l’ont entouré de deux souffleurs de luxe qui devaient aussi confesser leur filiation au mouvement : Louis Philippe Dalembert et Jean-François Alvin (dit A20), tous deux Haïtiens et hommes de lettre. Venus au monde en cette décennie 1960, ils sont nés avec le mouvement à qui ils ne cachent pas être un peu redevables, comme d’autres grands noms des lettres haïtiennes, de Emile Olivier à L. Trouillot, en passant par Frankétienne. La rencontre a aussi été l’occasion d’un bel échange entre Dalembert et A20 au sujet de la créolité qui m’a rappelé la converse sur la posture vis-à-vis de la France dans lest lettres francophones africaines.

La rencontre m’a surtout permis de découvrir un univers littéraire que j’ignorais. Ce qui est une honte pour quelqu’un qui consacre le plus clair de son temps de lecture à la littérature négro-africaine.

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Quelques vers de A. Phelps:


 

 

"Je continue ô mon pays ma lente marche de poète

un bruit de chaîne dans l'oreille

un bruit de houle et de ressac

et sur mes lèvres un goût de sel et se soleil

Je continue ma lente marche dans les ténèbres

car c'est le règne des vaisseaux morts


Ils sont venus à fond de cale

tes nouveaux fils à la peau noire

pour la relève de l'Indien au fond des mines

(Le dieu de l'Espagnol n'a point de préjugés

pourvu que ses grands lieux de pierre et de prières

soient rehaussés de sa présence aux reflets jaunes

peu lui importe la main

qui le remonte du ventre de la terre)

Et l'homme noir est arrivé

avec sa force et sa chanson

Il était prêt pour la relève

et prêt aussi pour le dépassement

Sa peau tannée défia la trique et le supplice

Son corps de bronze n'était pas fait pour l'esclavage

car s'il était couleur d'ébène

c'est qu'il avait connu la grande plaine brûlée de la liberté

Alors pour que l'Indien suivi du chien muet

chasse l'oiseau chanteur dans le pays des abricots

avec sa flèche protégée d'un tampon de coton

pour que le fils connaisse son père

et que la fille ne soit plus

une fontaine au bord des routes

et pour que l'homme soit respecté

et dans sa chair et dans sa foi

ce fut la trouée noire

et dans l'histoire

la haute brèche de couleur


Ô Pères de la patrie

Précurseur Empereur Roi bâtisseur Républicain

Pères glorieux que je ne nommerai point

car tous mêmement avez droit à notre amour

ô Pères de la patrie

accordez nous le don du courage et de l'honneur" ( "Mon pays que voici", édition Mémoire d'Encrier pp 40et 41)


 

 


 

22 octobre 2009

“YANVALOU POUR CHARLIE”

 

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Avec une patience de moine, appliqué comme  un apothicaire, Mathurin avait construit une barrière infranchissable. Entre son présent confortable, un avenir qu’il envisageait encore plus cossu et son passé villageois, il avait érigé la barrière de l’amnésie. Il n’avait pas seulement négligé d’assister aux funérailles de ses parents, quitté le village de son enfance à la veille des obsèques du vieux Gédéon, ce sage qui fut tellement bienveillant à son endroit, opposé le silence aux missives de Anne l’amour de ses quinze ans, non il ne s'en était pas tenu à ces fautes mais  avait aussi, avec application, fait disparaître de sa mémoire tout ce qui évoquait ce village qu’il considérait comme le “trou du cul du monde”, comme la condition sociale qui allait avec. Deux points faibles seulement subsistaient dans cette barricade: un D empreint de prestige en lequel il résumait son deuxième prénom et cette guitare que jadis lui offrit le vieux Gédéon et sur laquelle il lui apprit à jouer. Cette guitare qu’il jouait après l’amour, dans cette ville de Port-au-Prince, avec des femmes qu’il s’empressait de congédier, passé l’orgasme. Mathurin D. Saint-Fort. En lisant rapidement, on pourrait même entendre la mélodie de quelque ascendance aristocratique métropolitaine. Tout était quiétude dans cet environnement où il n'y avait pas place pour des états d'âme; avocat d’affaire dans un cabinet prestigieux entre une collègue pimbêche prête à tout pour obtenir ce qu’elle voulait et une autre, sainte ratée encline à porter sur son visage toute la misère des humains.


 

"Voilà comment j'ai su que j'av ais un frère. J'aurais pu lui apprend re à nager, jouer pour lui sur mes cordes neuves. Je n'ai jamais pu mettre un visage sur son prénom. Nous avions été tous les deux les victimes d'un vol.Je ne volerais personne, personne ne me volerait plus rien. J'ai décidé que je ne serais ni le frère, ni le fils, ni l'oncle de personne. J'ai fait mes adieux dans ma tête. A ce frère inconnu dont la mort m'était devenue insupportable. A mon père et à Anaële. A mon père avec ses trois livres et ses mensonges. A Anaëlle avec sa soupe et sa dignité de vaincue. A mon village. Avec son maire inutile. Ses joueurs de domino et de bésigue. Ses clôtures de cactus et de bayahondes. Ses vieux qui se racontent depuis toujours les mêmes histoires. Ses jeunes qui reprennent les histoires des vieux. Naissent vieux. Meurent vieux. A ses danses. A ses tambours. A tous les villages de la terre qui ressemblaient au mien, avec leurs manieurs de machettes et leurs veillées mortuaires. Avec leurs danses et leurs tambours. Avec les maladies qui tuent les enfants. Les mensonges aussi. J'ai fait mes adieux à Anne qui rêvait d'être instutrice et d'une vie à deux sans bouger de ce lieu. Anne qui était prête à devenir Anaëlle. Anne qui ne souffrait pas de l'attrait de l'ailleurs, mais souffrirait bientôt du mensonge de l'homme qui a besoin d'espace. On ne peut que mentir. Autant mentir à des inconnus. Quand on ment à des inconnus, ça cesse d'être un mensonge pour devenir une invention." (p. 58)

 


 

Jusqu’au jour où débarqua Charlie. Un adolescent pouilleux avec le regard déterminé de la bête traquée et à la bouche cette question dont il ne se doutait pas du pouvoir destructurateur. “C’est toi Dieutor?”. Prononcé en pleine réunion de travail dans ce cabinet prestigieux construit dans un quartier résidentiel. Dieutor! Dieu et tord. Un prénom au parfum de campagne que Mathurin avait dissipé dans le prestige de son initiale. “C’est toi Dieutor?” et le désordre était entré dans cet univers tranquille et sans passé qu’il avait patiemment construit. Par cette fissure dans la barricade s'étaient engouffrés, en images précipitées tant de souvenirs enterrés. Son père et ses mensonges, sa mère Anaëlle résignée et naïve, le vieux Gédéon, Anne l’amoureuse de ses quinze ans qui était disposée à vivre avec lui une vie d’épouse trompée.Tant d’autres images encore. Une réminiscence qui s’invitait en un flot tellement précipité  (à l’instar de la narration en rafales et sans cohérence du gamin) qu’avant que  Mathurin s’en rende compte, Charlie avait pris dans son canapé la place de sa guitare. Y avait installé ses histoires d’enfant de rue recueilli par le père Edmond, ses histoires de rapine, d’argent sale et ce meurtre qui l’avait privé, tout comme ses trois complices, du seul toit qu’ils avaient. Il était désespéré et quêtait une cache juste pour quelques jours, en attendant le jour où il aurait sa part du butin qui lui permettrait d'acheter son étoile, sa part de bonheur.

Un squat d’une semaine durant laquelle Mathurin, accompagné par Charlie, à cause ou grâce à cet adolescent poisseux qui n’était même pas un parent , va faire le chemin à rebours, le retour vertigineux vers cette origine sociale modeste qu’il s’évertuait à tenir à distance.  Vers une terre d’origine à laquelle il va adresser un salut pour l’adolescent. Terre d’enfance avec ses maris volages, ses écoles en ruine, son maire menteur, ses amoureuses adolescentes et ses cyclones qui ne respectaient même plus les périodes tri annuelles de jadis et emportaient les artistes solitaires.

Même si ce texte n’est pas le meilleur de Trouillot, il y traite avec grand talent de la difficulté, l’impossibilité même de se couper de ses origines tant elles peuvent rester tapies en certaines insignifiances de notre quotidien et être réveillées par des évènements banaux. Une guitare. Un prénom due l'on n'assume pas. Il traite aussi, dans l'ancrage géographique haïtien, de ce qu'il en coûte parfois aux humains quand ils aspirent à passer à une condition sociale meilleure. La misère y est omniprésente. Crue dans le visage d'enfants abandonnés et d'écoles décrépies. Travestie en réussite sociale sous le costume d'avocat talentueux qui vit sur la berge d'un précipice de pauvreté où peut le mener le moindre faux pas.

 

"Yanvalou pour Charlie", L. TROUILLOT,Actes Sud, 2009, 174 pages

 

5 octobre 2009

BMSC(*) Le monde s'effondre

Le malaise n’avait duré que très peu de temps. Du moment où ce collègue m’avait dit cette information qu’il avait mal entendue à ma réponse. Non je n’étais pas au courant de ce drame survenu là bas “au pays de Nkrummah”. Je n’avais écouté les infos ni le jour même ni la veille de ce 29 septembre. A peine avais-je exprimé à la fois mon ignorance et ma curiosité inquiète qu’il continuait: ”l’opposition y est décendue dans la rue hier, l’armée a tiré à balles réelles. Il y a eu 75 morts”. L’espace d’un cillement, la monde s’effondrait, la terre se dérobait sous mes pieds. Seule une conviction réflexe me retint sur un pouce de terre ferme, m’inspirant ma réplique. “Noonnn pas Atta Mils”. Alors le trouble changea de camp. Je sentais le doute dans l’esprit de mon interlocuteur, qui n’était plus sûr de son information. Il bafouillait. “Es-tu sûr qu’il s’agissait bien du Ghana?”  “Euh... laaa...je voulais dire chez Sékou”. La Guinée Conakry. Ouf! Les choses rentraient dans l’ordre. L’arbre à palabre retrouvait sa place au milieu du village, même si ce n’est plus aux sages ni à la sagesse qu’est reservée l’ombre bienfaisante de son feuillage. Même s’il arrive trop souvent, dans cette époque que nous vivons, que le premier arriviste venu souille son pied de sa vacuité. Comme ce  crétin en treillis de Dadis Camara qui a bien failli me faire perdre l’une de mes raisons d’espérer, malgré une actualité souvent dissuasive, en mon continent. Ce crétin qui croit qu’être en possession d’une arme rend plus intelligent. Everything is all rigth et tout le monde est dans son registre. Les imposteurs biensûrs comme le président de mon pays, Barthélémy Biya, dans le rôle du mendiant à la tribune de l’ONU: Je veux dire, en d’autres termes, que si nous avons pu nous mobiliser avec tant d’ardeur pour contenir les effets de la crise financière, nous le pouvons également face à d’autres défis qui nous sont lancés, notamment ceux de la pauvreté et du sous-développement dans lesquels vivent encore tant d’êtres humains à travers le monde.(1)Il est vrai que des séjours privés en Europe à 42.000€ (2) la nuit en suite avec sa suite ne varient pas à la baisse quand c’est la tendance de la bourse.

im_L_GbagLes héros aussi heureusemenet sont à leur place. Bien seuls car peu nombreux , certes. GBAGBO s’évertue toujours, contre les conservatismes français en Afrique, avec l’appui d’une frange déterminée de ses compatriotes, à reprendre l’écriture tronquée des indépendances africaines. Mes raisons d'espérer sont intactes! 

(*) BMSC= Black Mama's Son In The City

(1) Biya à l'ONU 

(2) Un vacancier au pouvoir

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